Des fois, il est bon de ne pas sacraliser l’écoute d’un disque. De le lancer comme ça vient, quand on a un peu de temps, lors de tâches ménagères, de trajets au travail, une musique d’accompagnement à qui on laisse une chance de nous attraper…
C’est bizarrement avec cette manière d’aborder un album que j’ai pu apprécier
How It Ends. Il faut dire qu’il arrivait grevé de plein de pierres, à commencer par une petite traversée du désert de Primordial, ce groupe qui avait atteint les cimes avec
The Gathering Wilderness et
Redemption at the Puritan's Hand (un
To the Nameless Dead un poil moins flamboyant entre les deux) avant de donner l’impression de mal vieillir avec
Where Greater Men Have Fallen et
Exile Amongst the Ruins, deux réalisations honnêtes contenant toujours ce qui place les Irlandais à part et au-dessus de la scène mais plus routinières. Il y avait cet artwork, discutable au minimum, aussi laid qu’une photographie d’époque mal scannée si l’on se veut plus cinglant. Bref, cela partait avec quelques pénalités de départ malgré toute la sympathie que j’ai pour la formation.
Il a donc fallu prendre le temps. Le temps de se faire prendre par ce nouvel album plus riffu que ses prédécesseurs. Le temps de se faire surprendre également, par cette impression d’entendre Primordial effectuer une cavalcade sur les terres d’Irlande, cowboy solitaire retraçant l’Histoire et ses combats incessants de ce bout de monde au bout du monde. Un trot constant et toujours intense – on parle de Primordial après tout, qui a pu laisser des sentiments contrastés mais jamais timorés le long de sa discographie –, certainement pas tranquille mais sachant contrôler son bouillonnement, la foulée régulière et vive, le sang aux tempes battant au rythme du cœur. On le sent dès le morceau-titre : l’heure est au bilan solennel, à la dernière course vers l’horizon, les rangs et les poings serrés, le doute s’immisçant parfois (tristes « Pilgrimage to the World's End » et « Death Holy Death ») mais ne rompant jamais le bois dont on est fait. La bataille aura bien lieu (« We Shall Not Serve » ; « All Against All » et ses airs de Darkthrone vieillissant et furieusement metal) et elle se vivra pleinement, des larmes au sang.
Une fois l’étape franchie, les appréhensions disparues, il convient de donner à
How It Ends l’attention qu’il mérite. De profiter de ses moindres détails comme lui paraît regarder chaque chose avec un œil de défi même lors de la fin. Une fin que l’on sent étrangement proche, au point de se dire que l’on a là une parfaite conclusion à la carrière des Irlandais (enterrement que l’on ne souhaite évidemment pas). Car ce dixième album est peut-être celui où les racines de la bande transpirent le plus, de la pluie s’abattant sur l’herbe aux ambiances de guerre civile à la fois anciennes et modernes (« Ploughs to Rust, Swords to Dust »), en passant par ces pubs où les alambics reflètent la lumière tamisée en la floutant, les sentiments vrais s’épanchant dans l’éthylisme (l’irish « Call to Cernunnos »). Un héritage porté fièrement, parfois au-delà de la raison (« Traidisiúnta », emprunt direct à la culture irlandaise et un peu trop « carte postale » à mon goût), jusqu’à une voix qui trouve dans sa sénescence une manière de raconter différemment ses combats. A.A. Nemtheanga est indéniablement un grand leader, de son charisme sur scène à ses prestations vocales, il n’en est pas moins plus essoufflé qu’autrefois, moins dans les harangues qui l’ont fait connaître. Il tire de cet état une grandeur autre, plus tragique, son chant paraissant s’étrangler par moments.
How It Ends est un album de contrastes et d’affirmations mêlés. Dignité, incertitudes, arrogance, humanité, violence et sensibilité se mélangent, parfois d’un seul trait (« Nothing New Under The Sun »), le son même se faisant lisible et comme légèrement brouillé, puissant et clair, équilibre précaire où l’on sent les forces tenir à un fil prêt à se rompre. Une œuvre en tension donc, qui, si elle est loin d’être parfaite – notamment dans une conclusion plus classique dans son appropriation du folklore celtique – et pourra être vue comme un best-of des dernières années de Primordial (l’édition collector allant jusqu’à exhumer les débuts de la formation avec des titres datant de 1991), a fini par s’inscrire chez moi comme égale aux meilleures œuvres des Irlandais.
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22/02/2025 18:10
18/02/2025 20:08