Je ne vais ni moquer les détracteurs, ni maquiller la réalité : il y a de quoi être déçu avec
Saddiction. Pour qui a suivi l’expansion de Hangman’s Chair, a été surpris par le stoner malade de vagues à l’âme et de drogue de
Hope /// Dope /// Rope, enchanté par le grunge explosant sur
This Is Not Supposed To Be Positive et s’épanouissant dans les grandes largesses de
Banlieue Triste, ensorcelé par la froideur cold de
A Loner… Il y a de quoi être déçu.
Hangman’s Chair fait le pas de trop, ça y est. Celui qu’on pouvait craindre à chaque nouvelle sortie, se demandant comment les Français pouvaient faire encore plus réussi que ce qu’ils avaient déjà montré, est là et bien là.
Saddiction ne brille ni par sa variété, uniformisant chacune de ses compositions par une production squelettique dans ses guitares, massive dans ses rythmiques, la voix de Cédric Toufouti luttant dans les hauteurs pour se faire une place, ni par un nouveau tour de passe-passe, le style étant bien balisé, l’exécution familière, le propos surligné plutôt qu’enrichi.
Un pas qui va au-delà des limites donc, celles qui disaient encore que la bande étaient doom avant tout, avec ce que cela suggère d’ampleur, de magnificence dans le déclin, de plaisir à se laisser dériver au sein des paysages urbains qu’elle aime dessiner. La formation troque son blouson noir pour la chemise en soie, remplace les soirées défonce par la contemplation des événements nocturnes, dit adieu à la souffrance violente des pulsions et bonsoir à l’émotion qui se vit avec une certaine sérénité, s’accueille dans la beauté qu’elle offre.
Hangman’s Chair décline, son style et tout court, de nouveau mais d’une autre manière qu’auparavant. Il vieillit et l’accepte, non pas avec joie mais avec une certaine mélancolie pour la roue du temps. Il y a de cela dans cette new wave qui scintille et caresse (« Neglect » ou encore « 2 AM Thoughts » renvoyant au Killing Joke FM de
Brighter Than a Thousand Suns), ces lignes vocales qui crèvent le cœur (« Canvas »), ces mélodies cycliques et minimalistes (« Kowloon Lights »).
Saddiction garde en tête les batailles précédentes mais abdique… pour mieux les vaincre.
« Healed? » comme question contenant la réponse, celle qui rappelle qu’il y a des combats qu’il vaut mieux laisser de côté pour aller mieux.
Saddiction assume son goût pour la tristesse, la définit comme une partie essentielle de soi, mais ne s’apitoie plus. Il en transmet même une tendresse certaine, loner qui se love dans la couette fraîche de la nuit. En étant juste, une inconstance empêche ce nouveau cru – à déguster dans ses nuances comme un bon vin rouge, tant j’ai fini par l’écouter jusqu’à plus soif – d’être à égalité avec ses deux prédécesseurs. Hangman’s Chair tape parfois à côté, un featuring de la chanteuse de Dool un peu trop à-part, un début d’album qui convainc moins que la suite (« In Disguise » commence les choses sérieuses). Il garde pour lui une forme de point final à un cheminement dans un enfer personnel qui le rend, à mes oreilles fanatiques, aussi indispensable que ce que les Français ont sorti depuis
Hope /// Dope /// Rope inclus.
Saddiction fait de la vie un ciel étoilé. Un ciel rempli de noir, de moments maussades et quotidiens, noir du café du matin avant d’aller au boulot, noir du micro-ondes qui réchauffe le plat qu’on n’a pas le temps de préparer nous-même, noir de l’écran que l’on éteint avant de s’endormir et de rempiler le lendemain. Avec quelques étoiles au milieu de tout ça, d’instants arrachés au vide. Il paraît qu’on en voit de moins en moins avec l’âge, que la voûte stellaire se vide, moins de constellations, plus de points paraissant bien seuls au sein du rien. J’aime imaginer Hangman’s Chair sur le toit de l’immeuble de cette pochette signée Metastazis, chercher à voir les lumières de l’espace et les attraper du regard, quitter celles artificielles des rues et des paradis qu’on s’invente pour aller au plus près d’un émoi oublié, plus difficile à ressentir bien qu’à la portée de tous. Non pas guéri, mais soigné, il apprend à apprécier le noir tout en y cherchant des îlots de clarté. Il y a de quoi être déçu… mais aussi heureux, pour eux et pour nous, tel parcours et tel groupe n’étant définitivement pas monnaies courantes.
5 COMMENTAIRE(S)
06/05/2025 22:41
Musicalement par contre, c'est du très haut niveau. Tout en étant dans les mêmes tonalités que "A Loner", cet album fait un pas de plus vers la cold-wave, tout en gardant un son très massif et lourd. J'ai cette impression de plus en plus prégnante d'entendre du Alice In Chains qui aurait bouffé du Cure et du Type O Negative. Pourtant, avec ces 3 références, on sent une musique plus lumineuse, plus "positive". Comme une touche d'espoir au milieu du vide.
Après la solitude et la froideur désespérée de A Loner, on a finalement une atmosphère plus nocturne et brumeuse.
Hâte d'entendre le troisième album de cette trilogie annoncée.
05/05/2025 20:04
04/05/2025 23:20
04/05/2025 18:00
04/05/2025 14:51