Combo du sud-ouest qui s’était fait remarquer avec un EP en 2022, MORTUAIRE est de retour cette année avec un album intitulé « Monde Vide ». Du Doom/Death mystérieux que nous offrent entre autres des membres ou anciens membres de YEAR OF NO LIGHT, BOMBARDEMENT, THE GREAT OLD ONES, MONARCH...
Shiran Kaïdine, le guitariste, nous présente l’histoire de la formation, son concept ainsi que les influences et ambiances que l’on peut ressentir à l’écoute des dernières compositions..
1/ Dans la présentation de votre page Bandcamp, il est noté que vous êtes de la ville de la mort (« City of Death »). Peux-tu expliquer ce qui vous fait qualifier Bordeaux ainsi et les rencontres mortelles que tu y as faites amenant à la création de MORTUAIRE et au choix de son nom ?
Ahah je ne me suis pas occupé de la création de la page Bandcamp, mais je pense que le « City Of Death » est sûrement un hommage à « Detroit Rock City » de
KISS et à « City Of Satan » de
TURBONEGRO. Cela faisait un moment que je souhaitais monter un groupe de Death, depuis mon adolescence concrètement. Ces rencontres « mortelles » sont tout simplement les amis avec lesquels j’ai pu concrétiser cette envie. Ado, j’avais fait un scénario de JDR (NDLR : jeu de rôles) que j’avais nommé « Mortuaire » et depuis ce jour-là, je me disais que si je montais un groupe de Death, je le nommerais ainsi. 25 ans plus tard,
MORTUAIRE sortait de terre.
2/ Il existe un groupe de Black Metal français, créé en 2020, également nommé MORTUAIRE. En avez-vous connaissance ? Si oui, avez-vous pensé à modifier votre nom afin d’éviter la confusion possible ?
Bien sûr. Quand nous avons monté le groupe, nous sommes de suite allés sur Metal Archives pour vérifier cela. « Mortuaire » est donc apparu, nous les avons contactés, mais aucun retour de leur part, et il nous semblait que ce groupe n’avait plus d’actu. J’avais ce nom et ce souhait depuis l’adolescence, je tenais vraiment à utiliser ce nom. N’ayant eu aucun retour de leur part et officiant dans un registre bien différent, nous avons donc décidé de garder le nom.
3/ Votre son est beaucoup comparé au Death old school, qu’il soit suédois (ENTOMBED, DISMEMBER) ou américain (AUTOPSY). En écoutant « Butoir » la toute première piste de votre EP, j’ai aussi pensé aux Français de LOUDBLAST en entendant le riff de 0’40 à 1’14 (qui revient à 3’29). Je trouve qu’il ressemble au passage de leur chanson « Arrive Into Death Soon » de 1’02 à 1’28. Est-ce un hommage ou un hasard ?
C’est un hasard total et aussi je n’y vois pas trop de ressemblance. Je n’ai jamais été trop friand de
LOUDBLAST, côté français j’ai plus accroché sur
MERCYLESS et
MASSACRA ou
MUTILATED. Voilà aussi pourquoi je tenais à un nom de groupe commençant par la lettre « M » ahah.
4/ Pour continuer un peu sur les comparaisons, le passage de batterie de « Mauvais présage » qui se termine à 1’14-1’15 me fait penser aux 10 premières secondes de « Angel Of Death » de SLAYER. Difficile de passer à côté d’un tel monument ?
Oui là je te rejoins un peu plus sur la comparaison. C’est vrai aussi que nous utilisons comme eux, grâce à eux je devrais même dire, l’harmonisation à la quarte et le jeu autour de la quarte augmentée.
5/ Sur la « La Nuit », le 2ème titre de l’EP, le break lent et lourd de 2’33 à 4’10 sonne très dépressif (un peu à la BETHLEHEM) et le growl laisse place à des lamentations. On retrouve un passage dans la même veine sur l’album, de 3’50 à 6’19 sur « Octogone de fer » (et je ne parle même pas du 2ème mouvement du titre « Monde Vide » qui tend carrément vers le Funeral Doom). C’est juste pour torturer l’auditeur ( ;-)) ou bien vous avez un autre objectif en insérant de tels moments dans vos compositions ?
Nous sommes de grands amateurs de
WINTER,
CORRUPTED,
THERGOTHON ou bien encore
CATHEDRAL, le Doom fait partie de notre ADN. Les 3/5ème du groupe ayant joué dans
MONARCH, on ne peut s’empêcher d’aller explorer le fond des abysses.
6/ L’utilisation d’un clavier permet d’apporter une ambiance angoissante. Qui se charge de cet instrument et quelles sont ses références ?
Nous n’avons pour le moment jamais utilisé de synthés dans
MORTUAIRE. Nous utilisons des reverbs sur les guitares ou les voix à certains moments qui peut-être te donnent l’impression que nous utilisons des synthés. Il y a parfois plusieurs pistes de voix qui se superposent tels des chœurs, c’est peut-être ces ambiances-là qui peuvent évoquer des sons de synthés.
7/ En même temps, la lenteur et l’angoisse dont on vient de parler laissent régulièrement la place à des moments coups de pied au cul, par exemple pour « Tranchant », titre dans lequel Jean-Clint relève des « accents Punk particulièrement énervés » (cf. sa chronique de « Monde Vide »). Comment est-ce que tout cela se combine pendant l’écriture de vos morceaux ?
Tout comme le Doom, le Dbeat fait partie de notre ADN. À côté de
MORTUAIRE, nous jouons dans
BOMBARDEMENT et
FAUCHEUSE deux groupes de Dbeat.
8/ Un commentateur sur les réseaux sociaux a jugé le chant de MORTUAIRE proche de celui de DISMEMBER. Est-ce bien une comparaison recherchée au niveau de la voix ?
Effectivement il y a des similitudes. Dans le cas des voix Death old school les chants sont plutôt hurlés que growlés super grave. Bien sûr le growl était de la partie, mais il venait accentuer une ligne, il n’était pas utilisé de façon systématique. Heddy cherchant à créer une narration forte avec son chant et à diversifier ses vocaux, il s’inscrit donc dans cette lignée où le chant hurlé prédomine sur le growl.
9/ Ce n’est en tout cas pas la même langue utilisée puisque vous chantez en français. Ce n’est pas le plus courant dans le Death Metal. Comment ce choix a-t-il été fait ?
Le français étant notre langue maternelle, nous nous sommes tout naturellement dirigés vers cette dernière. Et cela fait plus d’une décennie via nos différents autres groupes (
BOMBARDEMENT,
YEAR OF NO LIGHT,
FAUCHEUSE,
ENDLESS FLOODS,
GASMASK TERRÖR…) que nous utilisons le français.
10/ La thématique du vide revient régulièrement dans le Metal extrême francophone ces derniers temps car en plus de votre « Monde vide », VERSATILE a sorti « Les Litanies du Vide » en avril et si on remonte un peu, les dernières années avaient donné naissance à « Vomisseurs de vide » d’ATARAXIE, « Par amour du vide » de BOVARY ou encore « Les Avatars du Vide » de BLURR THROWER. Qu’est-ce qui fascine autant avec ce sujet selon toi et comment le développez-vous avec MORTUAIRE ?
Le mystère évoqué par l’essence du vide est fascinant et excite l’imagination. Pourquoi le vide ? Qu’y trouve-t-on ? Il suscite une liberté d’interprétation, d’enchantement extrêmement fort. Y trouve-t-on le chaos, le rien, la mort ? Il suscite une angoisse que l’homme se doit de résoudre comme il peut. Avec l’art, la science ou la religion par exemple. Ou même le Metal ahah.
11/ En lisant les textes de votre album et bien que je les trouve plutôt énigmatiques, le champ lexical fait néanmoins ressortir deux (autres) thématiques : la guerre (armes, armées, morts, sang, remparts, troupes, soldat) surtout sur les deux premières chansons, et la religion/spiritualité (foi, idoles, autels, cierges, fidèles, secte, sacrifices, dieux, rituel, enfer, diable) pour les trois suivantes. Tu nous expliques !
L’idée c’est d’évoquer des scènes, des visions voire des tableaux. Comme dans un rêve ou cauchemar, on ne saisit que des bribes, des fragments. Donner quelque chose de précis, accoler un sens précis enlèverait ce coté mystique que l’on cherche à tutoyer. Retrouver ce ressenti que l’on peut avoir face à un triptyque de Bosch où l’on ne va pas tout saisir, mais y voir des bribes, des scènes fortes qui vont éveiller l’imaginaire.
12/ Votre EP digital éponyme était sorti un 6 juin pour un prix de vente à partir de 6,66 euros. Faut-il y voir autre chose qu’un clin d’œil à la culture Metal ?
Ahah exactement !
13/ Dix mois après, World Eater Records le pressait en vinyle. Comment vous êtes-vous retrouvés sur ce jeune label breton pour qui c’était la deuxième production ?
Nous connaissions Henri-Pierre depuis un petit moment via nos autres projets. Il a eu vent de la démo et s’est spontanément manifesté pour la sortir en LP. Nous ne pouvions refuser une telle offre.
14/ La couverture du vinyle est différente de celle de la version digitale. Peux-tu nous présenter les deux et expliquer le choix d’un artwork alternatif pour la sortie physique ?
Lorsqu’Henri-Pierre nous a proposé de sortir la démo en vinyle nous nous sommes dit que cela méritait un
artwork un peu plus travaillé. Nous avions fait l’
artwork de la démo nous-même, mais avons fait appel à notre ami Duch pour illustrer la version vinyle.
15/ Quant à celle de l’album que l’on doit à Florian Thosz, on peut y voir des monstres difformes s’apprêtant à assaillir des bâtiments ; à moins qu’ils ne les vénèrent ?
Je te laisse y voir ce que tu veux. C’est important de laisser planer le mystère.
16/ Philippe Druillet (co-fondateur du mensuel Métal hurlant et de la maison d'édition Les Humanoïdes Associés) est mentionné parmi vos influences ; que lui avez-vous emprunté ?
Lorsque je compose, je visualise des tableaux ou des scènes face à moi que je vais alors chercher à mettre en musique. Ces « visions » sont bien souvent dans une esthétique marquée de la force chaotique qu’invoque le travail de Druillet. Je pourrais également citer des peintres comme Gustave Moreau ou Lydie Arickx.
Au-delà de cet aspect visuel, nous lui avons emprunté ou sommes inspirés de quelques lignes de dialogues ici et là.
17/ Vos deux productions sont disponibles en digital et en vinyle. J’ai lu qu’il y avait de la demande pour une version CD. Allez-vous donner une nouvelle vie sur ce support à votre album ?
Ça y est l’album est désormais disponible en CD.
18/ En plus de l’enregistrement, Stéphane Miollan, un de vos guitaristes, s’est aussi chargé cette fois du mixage pour l’album. Qu’est-ce que cela a apporté ? Faut-il s’attendre à le voir prendre encore davantage dans le processus de production musicale ?
C’est une énorme plus-value. Cela nous permet de prendre le temps que nous voulons sans trop nous rusher sur l’étape du mix et de pousser l’esthétique que nous souhaitons atteindre jusqu’au bout. Et puis cela nous permet d’apprendre beaucoup sur le travail du son et nous impose une rigueur. Stéphane a également enregistré et mixé les derniers
ABHORRENT EXECRATION,
BOMBARDEMENT et
FAUCHEUSE.
19/ Vous aviez joué en septembre 2023 au Salem Bar avec FOSSILIZATION, un groupe de Doom/Death brésilien dont les sorties sont très appréciées chez Thrashocore. Comment c’était de partager une date avec eux ?
Je les ai découverts à cette occasion. Nous avons passé un très bon moment avec eux avant les concerts à échanger différentes histoires de
road dogs (NDLR : anecdotes de tournée) et à nous marrer. Leur concert a été fantastique. Ils ont depuis rejoint la cohorte des groupes de Death qui tournent régulièrement sur ma platine.
20/ J’ai recensé 8 autres concerts de MORTUAIRE depuis le 1er juillet 2022 (il en manque peut-être), tous à Bordeaux et dans sa région. Avez-vous des plans pour visiter le reste de la France/l’étranger ?
Je mène actuellement un combat contre un cancer (personne n’est à l’abri, faites pas les malins quand quelque chose de pas normal traine plus de 15 jours filez voir votre médecin), donc nous sommes dans un semi
stand-by pour le moment. Je ne peux m’engager que sur du très court terme et de préférence donc du local. Mon énergie fluctuant selon les traitements. Mais dès que je suis tiré d’affaire, le plan est effectivement de jouer le plus que nous pourrons.
21/ Tu es né à Bayonne, région de GOJIRA. Ça te fait quoi de voir qu’un groupe de Metal local a ouvert pour les jeux olympiques ? Et on te laissera conclure.
J’étais même au lycée et voisin de Mario. Maintenant je suis déçu par cette apparition. Les J.O. représentent par bien des égards tout ce que me semble combattre
GOJIRA dans leurs différents engagements et textes. Je ne remets pas en question la qualité artistique de leur tableau mais je ne sais pas si c’était vraiment leur place encore une fois compte tenu de leurs engagements pour l’écologie. Et puis voir son nom accolé à une institution qui exploite parfois jusqu’à la mort les corps et la santé mentale des sportifs et ouvriers (des chantiers jusqu’aux ateliers de confection du matériel/vêtements) n’est pas forcément un super move pour moi. Mais ça fait son œuvre niveau promo.
Après, si le groupe n’avait pas eu cet engagement-là, j’aurais été moins critique.
2 COMMENTAIRE(S)
02/06/2025 09:05
Courage à lui en effet ! Et bien belle interview au passage !
01/06/2025 18:08